MÉMOIRE DE PHIL UPSHALL ET ZUL MERALI

RÉSUMÉ

On ne saurait s’étonner que la dépression ait acquis des proportions épidémiques lorsque « Comment allez-vous? » est le seul moyen réel dont dispose un médecin pour la diagnostiquer. À l’heure actuelle, deux tiers des Canadiens sollicitant une aide médicale pour contrer la dépression quittent le cabinet du médecin sans avoir une solution efficace ou durable. Ce qui est plus troublant encore, c’est que, chaque jour, 11 personnes meurent d’un suicide au Canada.

Malgré les investissements récents et positifs dans la santé du cerveau et la création de la Commission de la santé mentale du Canada en 2007, on continue d’observer des lacunes importantes. Bien que des travaux importants se poursuivent dans les laboratoires (recherche fondamentale en neuroscience), la plupart des résultats de ces recherches ne seront accessibles aux cliniciens ou à leurs patients avant plusieurs années. Dans l’intervalle, les patients ont un besoin pressant d’outils et de traitements. De fait, seulement 14 % environ des découvertes utiles seront intégrées à la pratique clinique quotidienne.

C’est à la lumière de ces données que nous sommes heureux de participer au processus de consultation pré-budgétaire de 2012 du Comité permanent des finances de la Chambre des communes en proposant la création d’un réseau national de centres de recherche et d’intervention en matière de dépression, qui rassemblerait les principaux agents cliniques et chercheurs du domaine de la santé mentale au Canada. En agissant comme catalyseur, le gouvernement fédéral pourrait poser les fondements d’un engagement national ferme et concret visant à mettre fin à l’épidémie de dépression.

L’actuel protocole de diagnostic pour les patients souffrant de dépression est très généralisé et dépourvu de fondement biologique, de sorte que les traitements ne se révèlent efficaces que pour environ 30 % des patients[1]. Le réseau que nous proposons travaillerait en collaboration avec les cliniciens, les chercheurs cliniques et les prestataires de soins primaires pour garantir que les patients assujettis au processus du diagnostic aient accès aux nouveaux outils de diagnostic (marqueurs biologiques), qui permettent de procéder à des traitements plus efficaces. Le réseau effectuerait également des recherches hautement interactives susceptibles d’aboutir à la commercialisation de produits et de services viables tout en encourageant des essais cliniques de grande portée et la mise en commun des connaissances au profit de tous les cliniciens et scientifiques au pays.

Les maladies mentales ont un effet sensible sur le rendement de notre économie et la nécessité de s’attaquer à cette question ne fait aucun doute. On estime que la dépression au Canada entraîne des dépenses annuelles de l’ordre de 51 milliards de dollars au titre des soins de santé, du droit pénal, de l’abus et de la négligence des enfants, de la toxicomanie, des pressions et des dysfonctionnements des institutions et des pertes de revenu et de productivité[2].

Comme les maladies mentales sont la première cause d’incapacité en milieu de travail au Canada, l’investissement dans la recherche axée sur le patient que propose le réseau se traduira par une augmentation de la productivité de la main-d’œuvre et un milieu de travail sain et stable et réduira le coût ahurissant que la dépression impose aux pouvoirs publics. Dans l’économie du savoir (et donc du cerveau) qui se dessine aujourd’hui, l’agilité et le bien-être de l’esprit constituent le facteur le plus important pour obtenir une production durable et efficace. Il est indispensable de combattre la dépression si l’on veut réduire les coûts économiques et sociaux et construire une économie solide.

Malgré le besoin manifeste d’un réseau de ce type, la plupart des budgets de recherche exigent que l’infrastructure soit en place avant que les fonds ne soient autorisés. C’est pourquoi nous encourageons le gouvernement fédéral à être un catalyseur dans la lutte de première ligne contre la dépression et recommandons un investissement ponctuel de 5 millions de dollars à titre de capital de départ pour le lancement de centres d’intervention et de recherche axées sur le patient, lesquels permettraient d’assurer de meilleurs soins et une véritable compréhension des maladies.

L’appui fédéral à l’infrastructure ouvrirait la voie à un financement renouvelable du secteur privé, des organismes communautaires concernés et de la communauté des chercheurs, ainsi que des organismes de recherche fédéraux et provinciaux (dont les critères exigent généralement qu’une infrastructure soit en place). Lorsque cette importante infrastructure sera établie, les provinces et les territoires pourront clairement agir à titre de partenaires, comme en témoignent leurs déclarations de juillet 2011 en faveur de la santé mentale et leur engagement à organiser un sommet sur cette question au cours de l’hiver de 2011.

Nous sommes convaincus que des résultats mesurables et positifs seront perceptibles dans moins de deux ou trois ans et que l’on a déjà effectué le travail préparatoire nécessaire pour interagir avec les réseaux semblables que l’on est en train de mettre sur pied à l’échelle mondiale, notamment aux États-Unis, où il y a actuellement 22 centres.

CONTEXTE MÉDICAL

L’Organisation mondiale de la santé estime que la dépression est dorénavant la maladie qui a les effets les plus dévastateurs dans les pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire[3].

La proportion des Canadiens souffrant de maladie mentale est de l’ordre de 8 % à 9 %.

Chaque jour, 11 Canadiens se suicident, estimant que c’est le seul moyen de venir à bout de leurs difficultés. Quelque 4 000 vies sont ainsi perdues, ce qui ne va pas sans plonger dans l’affliction leurs amis, les membres de leur famille et leurs collègues de travail.

Malgré cela, la dépression demeure sous-diagnostiquée et sous-traitée. Deux tiers des Canadiens sollicitant un traitement médical pour leur dépression quittent le cabinet de leur médecin sans pouvoir compter sur une solution efficace ou durable.

Même lorsque l’on tient compte des récents investissements dans la santé du cerveau et de la création en 2007 de la Commission sur la santé mentale du Canada, il y a toujours des lacunes considérables.

Il y a un besoin pressant de diagnostics de dépression plus exacts en temps et en heure et d’interventions personnalisées, économiques et efficaces. On ne pourra combler ce besoin que grâce à des interventions et des recherches axées sur le patient, ainsi qu’à la mise en commun d’expériences dans le cadre d’un réseau structuré. Compte tenu de la dichotomie naturelle entre la recherche de base en neuroscience et la recherche clinique axée sur le patient, les travaux importants effectués actuellement en laboratoire ne permettront pas de répondre à cet urgent besoin. En outre, il faudra plusieurs années – peut-être une douzaine ou plus – avant que les résultats de la recherche scientifique menée en laboratoire ne commencent à produire certaines réponses susceptibles d’aider les Canadiens souffrant de maladies mentales.

Ce réseau sera tout d’abord centré sur les découvertes récentes susceptibles d’être appliquées immédiatement aux patients, une attention particulière étant accordée aux connaissances d’amont provenant des laboratoires. Il y a tout lieu de croire que l’on ne tardera pas à obtenir des résultats concrets.

Ensemble, les Canadiens peuvent supprimer le caractère honteux associé à la dépression, comme ils l’ont fait dans le cas du cancer au cours des années 1960. Aujourd’hui, les familles parlent ouvertement des cas de maladie mentale et des efforts sont déployés à l’échelle du pays pour trouver des solutions et procurer un appui aux personnes qui en sont atteintes. Le Canada peut appliquer des stratégies gagnantes ayant fait leurs preuves dans d’autres domaines de la recherche clinique.

L’ÉPIDÉMIE DE DÉPRESSION AU CANADA : QUELQUES DONNÉES

Bien que tous puissent en être atteints, la dépression a des effets très dévastateurs au sein des groupes suivants :

Jeunes : Dans les universités et collèges, les antidépressifs sont le principal médicament d’ordonnance. Le suicide est la deuxième plus importante cause de décès chez les jeunes Canadiens. Les cas de suicide en milieu universitaire sont en hausse[4].

Personnes âgées : Plus de 45 % des personnes âgées vivant dans des établissements de soins pour bénéficiaires internes souffrent de dépression. Leurs diagnostics sont souvent erronés et ils ne reçoivent pas de traitement adéquat.

Femmes : Les femmes sont deux fois plus susceptibles que les hommes de souffrir de dépression.

Membres des Premières nations et Canadiens vivant dans les communautés du Nord : Les taux de dépression et de suicide au sein des Premières nations et des Inuits sont stupéfiants (ils comptent parmi les plus élevés au monde)[5].

UNE REPRISE ÉCONOMIQUE DURABLE GRÂCE À UNE MAIN-D’OEUVRE ET À UNE SOCIÉTÉ SAINES

Les maladies mentales en général, et la dépression en particulier, constituent la plus importante cause d’incapacité en milieu de travail au pays.

On estime que la dépression au Canada entraîne des dépenses annuelles de l’ordre de 51 milliards de dollars au titre des soins de santé, du droit pénal, de l’abus et de la négligence des enfants, de la toxicomanie, des pressions et des dysfonctionnements des institutions et des pertes de revenu et de productivité.

À mesure que le Canada se maintient sur la voie de la reprise économique, il importe de se rappeler que cette reprise demeure fragile. Afin de consolider et de renforcer l’économie, il faudra que le Canada fasse en sorte que sa main-d’œuvre soit stable, mentalement saine et bien préparée à exercer les emplois qui assurent sa vigueur.

ÉQUILIBRER LE BUDGET/RÉDUIRE LES IMPÔTS/CRÉER DES EMPLOIS

Un investissement gouvernemental de 5 millions de dollars à titre de financement de démarrage en vue de créer un réseau de centres d'intervention et de recherche axées sur le patient ayant pour mission de lutter contre les maladies mentales répondra aux besoins actuels et futurs des gouvernements :

Diagnostics améliorés : Un programme de recherche concret axé sur le patient et d’envergure nationale améliorera les diagnostics de dépression et leur traitement, et réduira donc le fardeau économique actuel résultant de cas de dépression non diagnostiqués et traités inadéquatement.

Hausse de productivité en milieu de travail : Une amélioration des diagnostics et du traitement des dépressions réduira l’absentéisme au travail, favorisera l’agilité mentale et rehaussera la productivité de l’économie du savoir tout en réduisant les coûts afférents aux congés de maladie.

Échange d’information : Un réseau de centres chargés de diagnostiquer et de traiter les cas de dépression permettrait aux cliniciens et aux chercheurs d’échanger des idées sur la meilleure façon de traiter ces cas et améliorerait l’accès aux outils de diagnostic, aux interventions et aux thérapies qui les aideraient à trouver les causes des symptômes. On éviterait ainsi les chevauchements et on s’assurerait que les citoyens partout au pays bénéficient de la recherche et des ressources disponibles.

Un financement de démarrage ponctuel préparerait le terrain pour de futurs investissements : Un appui fédéral en matière d’infrastructure préparerait le terrain pour un financement provenant d’organes de recherche bénéficiant de fonds fédéraux et provinciaux, des provinces et des territoires, du secteur privé, des organismes concernés et de la communauté des chercheurs. Le gouvernement fédéral jouerait le rôle de catalyseur en vue de mettre fin à l’épidémie de dépression au pays.

Création d’emplois : Grâce à l’augmentation des diagnostics de dépression chez les jeunes et les personnes vivant dans le nord du pays, la mise en place d’un réseau national stimulerait la participation au marché du travail, la création d’emplois et l’attrait pour les emplois.

Avantages fiscaux : La création du réseau aiderait à réduire les dépenses de 51 milliards de dollars résultant des cas de dépression en milieu de travail. En effet, le réseau permettrait d’accroître l’accès à de vrais diagnostics et à de vraies solutions, ce qui réduirait les pertes de recettes fiscales et les frais acquittés par les employeurs à cause de la dépression en milieu de travail et les réclamations d’assurance. La dépression a des conséquences néfastes pour les entreprises puisque, en plus d’augmenter leurs dépenses de main-d’œuvre, elle étouffe l’innovation et la participation à la vie sociale et, par conséquent, les dépenses discrétionnaires des Canadiens.

RECOMMANDATION

Le budget fédéral de 2012 devait faire état d’un engagement de financement ponctuel de 5 millions de dollars affecté au lancement d’un réseau national de centre d’intervention et de recherche axées sur les patients souffrant de dépression qui assurerait une meilleure compréhension de cette maladie et de meilleurs soins pour ceux qui en souffrent. Cet engagement pourrait se traduire par un nouveau financement ou par une réaffectation de fonds – par voie de réglementation ou de législation – vers la dépression clinique et, plus précisément, vers l’établissement d’un réseau[6].

En jouant le rôle d’un catalyseur, le gouvernement fédéral pourrait préparer le terrain pour un financement futur provenant d’organes de recherche bénéficiant de fonds fédéraux et provinciaux (dont les critères exigent généralement la mise en place d’une infrastructure), des provinces et des territoires, du secteur privé, des organismes concernés et de la communauté des chercheurs.

Ce projet jouit de l’appui d’importants intervenants, dont la Chambre de commerce du Canada, l’Association médicale canadienne, le Conference Board du Canada, Santé Canada et des chercheurs et cliniciens professionnels de premier rang de tous les coins du pays qui composeraient l’équipe fondatrice et dirigeante du réseau national de centres d’intervention et de recherche axées sur le patient.

Le capital de démarrage se répartirait comme suit :

·         2,18 millions de dollars : développement des capacités cliniques et réseau de collaboration

·         1,1 million de dollars : prochaine génération de chercheurs en matière de dépression

·         400 000 dollars : établissement de partenariats internationaux et effets de levier

·         300 000 dollars : conférence, réunions et séminaires annuels sur l’échange de connaissances sur la dépression

·         120 000 dollars : développement du secteur privé et participation au financement futur

·         80 000 dollars : gestion de la propriété intellectuelle

·         820 000 dollars : Secrétariat (soutenu par un effectif pancanadien)

CONCLUSION

La dépression est un problème grave qui touche des millions de Canadiens et leurs familles. Bien que l’on poursuive des recherches sur ses causes, il y a des lacunes aujourd’hui concernant le traitement et le diagnostic des patients qui en sont atteints, ce qui impose un coût important au gouvernement, non seulement par l’intermédiaire des coûts des services sociaux et de santé, mais aussi en termes de santé et de productivité de la main-d’œuvre. Un réseau national de centres d’intervention et de recherche axées sur le patient permettrait de s’attaquer à ces questions et on ne tarderait pas à en voir les résultats. Un investissement par le gouvernement de 5 millions de dollars produira des économies à long terme et une main-d’œuvre saine et vigoureuse pour l’avenir.


[1]      Trivedi et al. Am. J.Psych. 2006

[3]      The Global Burden of Disease 2004 update, Organisation mondiale de la santé: http://www.who.int/healthinfo/global_burden_disease/GBD_report_2004update_full.pdf

[6]      Compte tenu de la dichotomie naturelle entre recherche clinique et recherche neurologique, les États-Unis ont choisi de procéder par voie de législation.